3 juin 2020
Résultats du concours atelier d'écriture "Si la forêt m'était contée"-Félicitations à Franciane Guéneuguès
Si la forêt m’était contée
J’irais écouter son histoire dans la forêt de Brocéliande, celle de l’imaginaire et dans la forêt de Paimpont, celle de la réalité, une nuit, au clair de lune et je les mêlerais à toutes nos histoires d’ hier, d’aujourd’hui et de demain. Comme dans les cycles du triskèle, la forêt est éternel recommencement, les arbres reviennent à la vie et murmurent leurs messages à l’être humain qui souvent les oublie. Cette fois, je veux m’en souvenir et le silence de la nuit est propice à la mémoire des sens.
Si la forêt m’était contée cette nuit-là, sous le regard complice de la lune poétesse, je la mettrais au féminin. Ainsi ses six grands arbres les plus célèbres qui s’imprègnent dans les racines millénaires ou centenaires sont femmes pour moi. Femmes sacrées.
Regardez la plus vieille chêne, la Chêne à Guillotin, à Concoret, dont les mille ans entourent la taille de presque dix mètres. Elle offre son ventre maternel tailladée de vergetures, signes de fécondité, à qui veut se cacher dans son tronc, oublier la cicatrice d’être née et s’abriter dans une poche utérine bienveillante.
Pensez à la Chêne des Hindrés orgueilleuse qui s’habille en ogresse et monte la garde près de la tombe de Merlin. Malheur à qui voudrait profaner le lieu sacré dédié à l’enchanteur.
Et aussi cette Chêne dite d’Anatole Le Braz qui inspira l’écrivain. Elle étendit sa frondaison aux forges de Paimpont, au gré des mélodies qui s’accrochèrent aux branches et allèrent jouer sur les lèvres et les mémoires à tout jamais.
Plus jeune, seulement 400 ans, mais aussi plantureuse d’avoir mangé la terre riche de sève, la Châtaignière du Pas aux biches à Campénéac offre sa silhouette trapue et ses fruits d’automne aux promeneurs et aux promeneuses qui se sont égarés, trompés par les lueurs changeantes de la lune.
Voici enfin dans une futaie de la forêt, la jalouse Hêtre du Voyageur, loin des chemins battus, cachée pour dissimuler ses mystères dans l’obscurité des fourrés et voisine de la fontaine de Barenton, miraculeuse, dit-on.
Et ma dernière, funèbre et digne, la sombre if qui veille sur l’église de La Chapelle-Caro. Ses morts un jour reviendront à la vie. En attendant, ils chuchotent la nuit quand les oiseaux se sont tus.
Ma forêt, mes six arbres féminins pour cette nuit où j’écoute pieusement leur histoire. Je m’imagine les enlaçant tendrement pour leur demander force et sagesse. Elles baignent leurs racines dans le terreau du temps qui semble ne plus exister.
Et moi, je voudrais qu’elles contemplent les êtres humains par-delà leurs branches et que leurs yeux cachés dans les troncs, paupières ridées et malicieuses, apprennent à lire dans le granit de nos campagnes et des forêts.
C’est pourquoi cette nuit les korrigans de nos contes vont chercher six statues de la Vallée des Saints et les déposer devant mes arbres, une statue dédiée à chaque arbre, une femme. Nolwenn, Eodez, Gwenn, Koupaia, Ber’hed, Elibouban, voilà six statues femmes qui vont s’animer en parlant aux arbres femmes.
Douze géantes aux racines tentaculaires dans mes contes, puissantes, généreuses pour rappeler les dons féminins offerts par Dame Nature. Arbre, granit, forêt, femme, je jubile pendant ma promenade nocturne volée à la grammaire. Quelques instants j’ai le pouvoir de la fée Viviane, la Dame du Lac, je peux donner le pouvoir aux mots et l’épée Escalibur au roi Arthur, j’enchante Merlin et je veille sur Lancelot. Mes arbres au féminin sont ma garde. Quelques instants, au clair de lune qui jette ses rayons sur les immenses futaies, oubliant les cicatrices de ma vie, je suis la fée légendaire de la forêt.
Franciane Guéneuguès .